SABIEN WITTEMAN  
STREET VIEW
 
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La série « Street View » de Sabien Witteman inaugure une nouvelle étape de ses recherches plastiques ainsi qu'une approche innovante de la peinture contemporaine dans laquelle elle transpose, au sein du vocabulaire visuel de la photographie numérique, la technique picturale du repentir.
Après s'être consacrée au genre du portrait afin de livrer une représentation ironique et sarcastique des hommes politiques, elle analyse désormais la notion d'espace public au sein du paysage urbain. La série « Streetview » s'inscrit dans la continuité des préoccupations de l'artiste centrées sur l'exploration des collusions et collisions entre peinture et photographie en conjuguant retranscription d'un cadrage, représentation circonscrite au sein d'un écran, effets picturaux de transparence et d'effacement mais aussi affirmation d'une démarche artistique centrée sur la dénonciation d'une société dysfonctionnelle.

Sabien Witteman procède en deux temps. Elle commence par effectuer ce qu’elle décrit comme des ’’balades’’ sur google map durant lesquelles elle observe puis sélectionne, pour leur étrangeté, des photographies de villes. Ce qui constituera le fond de son intervention picturale consiste donc en une version Big Brother du paysage urbain. En plus de se glisser dans des interstices qui ne retiendraient l’attention d’aucun photographe, la caméra de google map génère toutes sortes de déformations. Sur ce fragment d’une réalité difforme, Sabien Witteman s’attelle à produire une seconde forme de perturbation du réel en réservant, à l’ensemble des composants de ces ’’street views’’, les différents traitements picturaux du repentir : certains sujets ou zones de la photographie numérique sont peints selon leurs tonalités originelles afin de rehausser leur visibilité, d'autres par application de couches successives d’une peinture transparente signalent l'existence fantomatique de certains éléments urbains.

La superposition discontinue de ces deux types de langages visuels affirme l'atypie d'une indifférenciation entre peinture et photographie. L'association d'un réalisme défaillant à la déstabilisation initiée par cette représentation d'une nature plastique non identifiable, provoque le surgissement d'un univers déconcertant, incohérent, discordant.
Avec la série « Street View » Sabien Witteman dévoile une manifestation hybride, troublante du paysage urbain, une image palimpseste dans laquelle s'entremêlent naturalisme et falsifications visuelles.

Sur le plan pictural, on songe à Edward Hopper face à ces scènes urbaines déshumanisées conciliant tonalités verts jaunes et pâleurs mais aussi aux déformations physiques de Francis Bacon, aux architectures surréalistes de René Magritte et Giorgio De Chirico ou encore au travail de retranscription des effets de la vitesse sur les objets développé par les peintres futuristes.
Dotée d'une véritable nature cinématographique – les photographies numériques proviennent de captures d'écran réalisées à partir d'images filmées par une caméra – cette série convoque notamment les cadrages architecturaux anxiogènes d'Alfred Hitchcock et la dimension fantastique déployée par David Lynch, basée sur une exacerbation ponctuelle des déficiences du réel.

Cécile Desbaudard, 2019